Automne 1984, après ma nomination à la tête de l’École Wing Chun Orthodoxe et après le départ du Grand Maître Nguyen Minh à Hongkong, étant toujours impressionné par les prouesses et les accomplissements extraordinaires des pratiquants du passé, je me lançais à la recherche des techniques invincibles du combat ultime.
Un bon matin, je me suis rendu chez mon maître de Tai Chi afin de trouver une solution. Le vieux maître me demanda le but de ma visite, après quelques préambules de formalités je
clarifiais :
– Maître. Je voudrais comprendre l’essence de la vie et de la mort derrière le combat ultime. Pour ce faire, veuillez je vous prie, me montrer le chemin, si mon désir est légitime et m’éclairer la voie du guerrier si c’est possible !
D’une voix neutre et froide comme d’habitude il me lança un regard sévère :
– Les maîtres qui pourront t’enseigner ces techniques existent partout, va les chercher, tu les trouveras !
Puis fermant légèrement la palissade en bois qui séparait la petite ruelle et sa maison, il tourna les talons. Une grande déception m’envahit. Devant un refus ferme et si brusque, je m’inclinais.
Le temps passa comme l’ombre du cheval galopant à grande vitesse derrière la fenêtre. Un an plus tard, j’étais de nouveau devant la palissade de la maison de mon Maître.
Tout hésitant et confus je m’adressais à lui :
– Maître, j’ai cherché, j’ai fouillé toute la ville de Saigon-Cholon et je me suis renseigné par tous les moyens. J’ai questionné des enfants aux vieillards mais la réponse était toujours négative. Maître! Il n’existe plus de maître–experts en combat ultime. Le grand maître me regarda profondément comme voulant sonder ma sincérité puis avec un sourire mystique, il m’ouvra la petite porte.
– Ces maîtres n’existent plus dans cette société, viens !
Je le suivis en descendant un petit escalier à la lueur d’une lampe à pétrole qui menait à un étage en bas. L’humidité et la moisissure dégageaient une odeur fort embarrassante. Le sentiment du violateur de la 4ème dimension qui tâtonnait dans une grotte sombre à la recherche du passé m’envahit. Cependant, ce que je vis sur les murs suscita tout mon intérêt. Des grands croquis de formes humaines aux différentes positions et postures, des écrits en caractères chinois peuplaient l’espace exigu du sous-sol. À la lueur à peine visible, il m’expliqua comment véhiculer l’énergie des méridiens qui alimentent les muscles pour développer une force retenue maximale, avant la libération explosive des
coups de pieds selon la formule “seule la vitesse ne peut être interceptée”.
Le Grand Maître Kwan Say Minh (1) pour la première fois dévoilait une autre identité, non seulement était-il le patriarche du Tai Chi Chuan style Wu, mais encore et en
effet il figurait parmi les héritiers de la fameuse famille “Dam”, celle qui régnait au nord de la Chine depuis le 18ème siècle, reconnue par les 12 sets de coups de pied invincibles. De lointains souvenirs me revinrent. Je revis un enfant de 7 ans, sautant pour monter les
marches de l’arène du centre sportif chaque matin, pendant que le vieux maître nous enseignait.
La petite bougie en moi s’alluma à l’instant même car je compris la raison de cette confidence subite et je compris aussi la pratique persévérée de son fils Kwan Say Yang en son temps. Mais il restait toujours le grand mystère de ses paroles si contradictoires du oui au non, de l’existence à l’inexistence sur ma question à la quête du savoir de l’année passée. Ces paroles me hantèrent des jours et des nuits pendant de longues années jusqu’à ce que je puisse saisir le significatif Yin-Yang.
Grand Maître Nam Anh, le 20 mai 2015
(1) Maître Kwan Say Minh a connu une grande renommée après une démonstration ahurissante en 1959 à Ching Moo Hui devant 2000 spectateurs dans une levée
de fonds pour les sinistrés de l’inondation au Vietnam. Il avait utilisé un marteau pour frapper sur son crâne chauve qui résonnait comme un gong à l’approche du
microphone. Toute la salle avait les nerfs tendus à vif à chaque coup asséné. Le suspens montant en crescendo a soulevé la foule indignée et apeurée mettant fin au spectacle.
PS : Cette petite histoire vécue, je l’ai considérée comme étant un Kouan afin de vous donner une autre vision, nécessaire et indispensable à la recherche de votre identité. Je mets à votre disposition une autre anecdote du monde sans porte, grâce à laquelle j’avais trouvé le charbon ardent en moi et j’avais compris la réponse bivalente du Grand Maître.
“ … Un moine demanda à son maître :
– Vénérable maître, est ce que le chien a un “Moi originel”?
Le maître répondit :
– Non !
Cette négation semait le désarroi chez les moines-disciples car d’après l’enseignement de Bouddha, tous les êtres vivants que ce soient les animaux ou les êtres humains possèdent également un moi originel.
Enfin pour s’assurer de la bonne réponse, un autre moine se présenta avec la même question.
– Vénérable Maître, est-ce que le chien n’a pas de “Moi originel’’?
À sa stupéfaction le maître répondit :
– “Oui ! ………”
Ce Kouan demeura très longtemps dans l’inexpliqué, et pourtant après sa lecture, j’ai vu mon visage s’illuminer dans l’obscurité. Les oui et non du Vénérable Moine éclatèrent en morceaux, provoquèrent une réaction en chaine et je compris tout!